Propriétés des capteurs
Introduction
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux propriétés physiques des capteurs, et voir comment ces propriétés influencent la qualité des images. Nous allons souvent nous appuyer sur un exemple spécifique, le capteur Kodak KAF-10500. Il s'agit d'un capteur de type CCD de 10,5Mpix, qui équipe les Leica M8. Les enseignements que nous tirerons de cette étude de cas s'étendent à tous les types de capteurs, à quelques nuances près.
Nous avons choisi ce capteur, car ses spécifications détaillées sont disponibles en ligne chez Kodak. On les trouve également ici.
L'effet photo-électrique
La base du fonctionnement d'un capteur d'appareil photographique est l'effet photo-électrique; il s'agit de l'émission d'électrons par un matériau soumis à un flux de photons de fréquence suffisamment élevée. Cet effet fut découvert dès 1887 par Hertz. A cette époque, l'effet photo-électrique était en désaccord avec la théorie dominante qui voulait que la lumière soit une onde. C'est Einstein qui donna le premier une explication satisfaisante à ce phénomène en introduisant la notion de photon, et en promouvant à ce titre le caractère corpusculaire et non plus seulement ondulatoire, de la lumière.
L'énergie amenée par un photon doit être supérieure à l'énergie de liaison d'un électron pour que celui-ci soit libéré. L'énergie de l'électron émis est E=Ep-El, où Ep représente l'énergie du photon, et El l'énergie de liaison de l'électron avec l'atome.
Le nombre d'électrons collectés est proportionnel au nombre de photons reçus. Ce ratio s'appelle efficacité quantique. Aucun capteur n'atteint 100% d'efficacité, et celle-ci dépend de la longueur d'onde du photon incident.
Principe général
Tous les capteurs, qu'ils soient de type CCD, ou de technologie CMOS, fonctionnent sur le même principe: l'effet photo-électrique va libérer des électrons au niveau de chaque photosite, qui vont s'accumuler dans le puit à électrons que constitue ce site. Un photosite n'a cependant qu'une capacité limitée en terme de nombres d'électrons qu'il est susceptible de stocker; lorsque ce nombre maximal d'électrons est atteint, le site est saturé. Sur les capteurs de type CCD, la saturation d'un site a tendance à déborder sur les sites voisins, produisant un effet connu sous le nom de blooming en anglais. (En réalité, la plupart des capteurs ne stocke pas des électrons, mais plutôt les "trous" laissés par ces électrons).
La quantité maximale d'électrons que peut stocker un puit dépend en première approximation de sa surface et du voltage appliqué. Il faut cependant voir que l'augmentation du voltage augmente également de façon conséquente les sources de bruit. On peut voir ci-dessous les caractéristiques de quelques capteurs (extrait de la documentation de Roper Scientific).
CCD | Taille d'un pixel (en microns) | Capacité |
Kodak KAF1401E | 6.8x6.8 | 45000e |
Marconi CCD37-10 | 15x15 | 165000e |
Kodak KAF1000 | 24x24 | 630000e |
Il faut également savoir qu'un photocapteur n'a une réponse linéaire au nombre de photons reçus que dans la première partie de la courbe. Lorsque l'on approche de la saturation, la fonction de transfert s'aplatit. De ce fait, on ne peut utiliser qu'une partie de la pleine capacité d'un photocapteur.
Bruit et quantification du signal
Les capteurs CCD et les capteurs CMOS ne présentent pas exactement les mêmes sources de bruit. Les sources de bruit se divisent en trois catégories principales pour les CCD:
- Le bruit photonique: le flux de photons reçu est soumis à un processus de Poisson (comme la majorité des processus physiques de ce type), et il présente donc un bruit proportionnel au carré du signal. Ce bruit est inévitable, et lié à la nature physique de la lumière et de sa capture. Il est proportionnel au nombre de photons capturés.
- Le bruit de lecture: il s'agit du bruit généré dans la phase de quantification du nombre d'électrons contenus dans le photocapteur. Il s'agit essentiellement du bruit généré par le pré-amplificateur analogique.
- Le bruit thermique: à l'intérieur des couches de silicium qui composent le capteur, des électrons sont générés en raison de l'agitation thermique. Une caractéristique (malheureuse) de ce bruit est qu'il est proportionnel au temps d'exposition, alors que le bruit de lecture est, lui, fixe. Sur des appareils de laboratoire fixes, il est de coutume de réduire le bruit thermique en refroidissant (par exemple par effet Peltier) les CCD jusqu'à -25 degrés. Cela a pour effet de réduire le bruit thermique d'un facteur supérieur à 100.
On peut donc écrire le rapport signal sur bruit d'un capteur sous la forme: $$ S_n=\frac{F Q_e t}{\sqrt{(F Q_e t)^2+(B_{th} t)^2+B_l^2}} $$ $F$ représente le flux de photons (en photon/seconde), $Q_e$ est le facteur d'efficacité quantique (en electron/photon), $t$ le temps, $B_{th}$ le facteur de bruit thermique (en electron/seconde) et $B_l$ le bruit de lecture (en électron).
Pour les temps d'exposition très courts, le facteur de bruit déterminant est le bruit de lecture. En revanche, pour les temps d'exposition long, le bruit déterminant devient le bruit thermique.
Ce phénomène est responsable de l'apparition des "pixels chauds" (hot pixels) lors de photos prises en pause longue. En effet, certains pixels ont un facteur de bruit thermique plus élevé que les autres; il s'agit en général de courants de fuite qui génèrent des électrons supplémentaires au niveau d'un pixel. Lors d'une exposition longue, ces pixels sont nettement visibles. Il ne faut pas les confondre avec des pixels morts qui ont systématiquement le même aspect quel que soit le temps d'exposition. Il est impossible d'éviter les "pixels chauds". Ils sont toujours présents, et il suffit de faire une photographie en pause longue (quelques secondes) en laissant le couvre objectif pour les voir apparaitre, bien souvent en grand nombre...
Le rapport signal sur bruit détermine le nombre de bits qui sera utilisé pour quantifier le signal. Supposons que nous ayons par exemple un capteur ayant une capacité de 49000 électrons, et un bruit de lecture de 10 electrons (nous oublions ici les autres sources de bruit); le rapport signal sur bruit est de 4900. Nous allons donc discrétiser le signal sur 12 bits car 212 = 4096. Il faut cependant remarquer que à un niveau de quantification correspond environ 12 électrons (49000/4096), ce qui est très proche de la valeur du bruit lui-même (10 électrons) et rend par là-même cette indication peu fiable. La théorie indique en fait que le nombre d'électrons par niveau de gris doit être supérieur à 2.7 fois le bruit. Dans le cas présent, une discrétisation sur 11 bits (24 électrons) serait déjà superfétatoire (10 bits serait suffisant). Il faut donc se méfier des performances annoncés par les fabricants d'appareil: ce n'est pas parce que l'on annonce 12 bits par pixel par canal RGB que le capteur est effectivement capable de délivrer ce type de performance.
Notons également que le rapport signal sur bruit dépend de la taille d'un photosite; en effet, la capacité d'un site dépend de sa surface alors que le bruit de lecture ne dépend que du circuit. Cela explique les mauvaises performances des appareils à petit capteur en faible luminosité: les pixels sont trop petits pour capturer beaucoup d'électrons, et le bruit de lecture est le même qu'avec des capteurs plus gros.
Pour conclure, rappelons que sur un appareil photo numérique, le fait d'augmenter la sensibilité ISO ne modifie en rien les propriétés physiques du capteur... L'augmentation de sensibilité ISO modifie simplement l'amplification du signal à la sortie du capteur. Malheureusement, amplifier le signal signifie également amplifier le bruit qu'il contient, ce qui explique la dégradation de la qualité de l'image dans les hautes sensibilités.
En ce qui concerne les capteurs dits CMOS (ces capteurs sont simplement appelés CMOS car ils sont gravés avec ce type de technologie; le nom n'a rien à voir avec le fonctionnement du capteur), le bruit photonique et le bruit thermique existent toujours, mais, en raison de la technologie particulière des CMOS, le bruit de lecture est plutôt remplacé par un bruit appelé bruit kTc (k est la constante de Boltzman, T la température, et C la capacitance à l'entrée du transistor amplificateur)qui est généré lors de la remise à zéro du photocapteur. Il existe des techniques comme le CDS (Correlated Double Sampling) qui permettent de réduire ce bruit. Une autre source de bruit sur les CMOS est le "Fixed Pattern Noise", un bruit constant qui vient principalement de différence dans les facteurs de gain des différents transistors associés à chaque photocapteur lors de la fabrication. Ce bruit étant relativement constant, il existe des techniques efficaces permettant de le soustraire systématiquement. Les capteurs CMOS, en raison du grand nombre de sources de bruit, ont longtemps été considérés comme inférieurs aux capteurs CCD. Canon a quelque peu modifié la donne avec sa génération de capteurs CMOS, et en particulier avec l'extraordinaire CMOS 36x24 de 16 millions de pixels qui équipe le 1Ds MarkII, avec un niveau de bruit remarquablement bas (et cela est encore plus vrai du capteur 36x24 équipant l'EOS 5D).
Architecture des CMOS et CCD
Comme dit précédemment, les capteurs qu'ils soient CMOS ou CCD fonctionnent sur le même principe (l'effet photo-électrique). En revanche, ils sont très différents dans leur mode de fonctionnement, ce qui explique les différences de performance. Nous allons brièvement examiner les architectures des capteurs CCD, puis des CMOS.
Capteur CMOS
La base du capteur CMOS est l'APS (Active Pixel Sensor). En effet, sur un CMOS, la conversion en voltage des électrons stockés dans le puits de potentiel est faite directement au niveau de chaque pixel. On peut voir sur le schéma ci-dessous qu'au niveau de chaque pixel, on trouve déjà un nombre important de composants électroniques.
Sur un CMOS, chaque pixel est adressable individuellement par l'intermédiaire d'une adressage classique de type ligne-colonne.
On voit sur cette image par microscope électronique une vision en coupe d'un APS:
Cette image est intéressante, car elle montre bien que seule une partie de la surface du capteur est utilisable pour recueillir les photons et que, d'autre part, la partie sensible du capteur se trouve au fond d'un tunnel diélectrique. De ce fait, seuls les rayons de faible incidence atteignent la partie photosensible. C'est pour cette raison que les capteurs numériques sont moins sensibles que les pellicules traditionnelles sur ce type de rayon. Les micro-lentilles placés sur chaque pixel ont pour but de réduire ce phénomène en condensant les rayons.
Pour éviter ce phénomène, il existe une autre technique connue en anglais sous le nom de "back illuminated cmos", que l'on traduit souvent par "capteur inversé". Dans cette technologie, les pistes du capteur cmos sont gravés sous le substrat:
Cette technologie réduit la perte de rayons, puisqu'ils n'ont plus à traverser le tunnel di-électrique. Mais elle présente d'autres problèmes: pixels défectueux plus nombreux, etc... Elle a commencé à être utilisée régulièrement sur certaines caméras scientifiques professionnelles et s'est d'abord généralisée sur certains compacts; puis Sony a développé la famille de capteurs Exmor inauguré sur les TX-1 et WX-1. Il semble que Sony ait d'ailleurs fini par imposer cette solution, les derniers reflex de la marque équipés de capteurs BI ont des niveaux de bruit inférieurs à tous leurs compétiteurs, et il semble que cet avantage concurrentiel a permis à Sony de s'imposer sur le marché au même niveau que Canon ou Nikon.
Capteur CCD
Sur un capteur CCD (Coupled Charged Device), les électrons sont stockés dans les puits de potentiel. Lorsque l'exposition est terminée, les charges sont transférés en parallèle d'une ligne vers la suivante, la dernière ligne étant elle transférée dans un registre série qui va ensuite transférer à tour de rôle chaque élément de la ligne dans un convertisseur analogique/digital. La lecture complète du capteur se fait donc en plusieurs étapes, et n'emploie qu'un seul convertisseur analogique/digital (contrairement au capteur CMOS).
Il existe plusieurs types de capteurs CCD. Les capteurs "Full frame" utilisent la totalité de la surface du senseur pour capturer les photons. Ce sont les capteurs les plus sensibles, mais ce sont aussi les plus lents. Il existe aussi des CCD de type "frame transfer" et d'autres de type "interline transfer". On échange alors de la qualité optique contre de la vitesse de capture, en utilisant une partie de la surface du capteur pour traiter plus rapidement le transfert de charges.
Taille optimale d'un pixel
Pour une taille de capteur donné, il est raisonnable de se demander quel est le nombre optimal de pixels qu'il peut contenir.
Utiliser des pixels de grande taille permet d'augmenter la quantité de photons récupérés, mais diminue la densité, et diminue donc la résolution maximale du capteur.
En revanche, si l'on utilise des pixels trop petits, on diminue le nombre de photons, et le bruit de lecture et le bruit thermique deviennent des facteurs difficiles à gérer.
Ces deux stratégies existent. Sur les réflex numériques, la taille des pixels est de l'ordre de 6 à 7 microns, alors qu'elle peut descendre à 2 microns sur les appareils compacts.
Le lecteur intéressé pourra lire cette étude qui fournit un modèle théorique permettant de trouver la taille optimale d'un pixel sur un capteur CMOS en fonction de la finesse de gravure. Même si les hypothèses sont simplificatrices, les ordres de grandeur sont cohérents et tendent à montrer que la taille de 6 microns est proche de l'optimum aujourd'hui.
Application à un cas concret
Nous allons maintenant détailler les spécifications du capteur KAF-10500, qui se trouve en particulier à l'intérieur du Leica M8 digital.
- Vsat : Vsat représente le courant de saturation; il s'agit du courant maximal généré par un photosite après passage dans les différents étages du capteur, lorsque ce photosite est plein (entre 1300 et 1500 mV).
- Nesat : il s'agit de la capacité maximale en électrons d'un photosite (entre 54000 et 60000).
- Q/V : il s'agit du ratio indiquant le courant fourni par électron présent dans le photosite; ici, 1 électron va générer 25 micro-volt. On retrouve bien que 60000 x 25.10-6=1.5V
- L'efficacité quantique du capteur est donné pour 3 longueurs d'onde: une (21%) dans le rouge (630nm), une (40%) dans le vert et une (32%) dans le bleu (450nm). On voit donc qu'il faut environ trois photons de fréquence égale à 450nm pour générer un électron dans le puit qu'est le photosite. Il en faudra environ 5 pour une longueur d'onde correspondant au rouge. L'ensemble capteur/filtre coloré a été optimisé de façon à ce qu'il soit le plus sensible dans le vert, qui est la couleur la mieux perçue par l'oeil humain.
- Vdark,int : il s'agit d'une quantité exprimée en milli-volt par seconde; c'est la partie du signal qui sera lue en sortie de capteur en l'absence de réception de photons, et qui correspond à la partie du bruit thermique générée au niveau du capteur. Celle ci croit, comme nous l'avons dit, linéairement avec le temps.
- Vdark,read : il s'agit du signal mesuré en sortie du capteur lié au bruit généré essentiellement par les circuits de préamplification. Ce signal est constant (il ne varie pas avec le temps). Il faut noter que Vdark = Vdark,read + Vdark,int x tint : le signal "parasite" récupéré en sortie de capteur est égal au signal de lecture plus le signal d'intégration multiplié par le temps d'intégration. On remarquera que le bruit sur le signal d'intégration dépasse celui sur le signal de lecture lorsque que l'on approche un temps de l'ordre de la seconde. En résumé, en dessous de la seconde, le bruit est constant, au dessus il croit linéairement avec le temps d'exposition.
- Total read noise : c'est l'écart mesuré dans le noir pour plusieurs mesures sur un même photosite exprimé en électron efficace (RMS= Root Mean Square). Le nombre de niveaux utilisables par le capteur est égal à la capa max (entre 53000 et 60000 électrons) divisé par le bruit total (entre 18 et 22 electrons). Cela donne environ 3000 niveaux de quantification, qui pourront être exprimé sur 12 bits (212=4096 niveaux).
Sources
Les spécifications du KAF-10500
Principes de fonctionnement des senseurs CMOS
Principe de fonctionnement des CCD
Une étude sur les capacités
des capteurs CMOS
Une étude sur l'efficacité optique
d'un capteur
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Dernière modification: 16:27, 20/03/2024